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Les exosquelettes dans le débat indemnitaire

Au carrefour entre la médecine et la robotique, le développement des exosquelettes promet des avancées ambitieuses pour les victimes de lourdes atteintes de l’appareil locomoteur et de troubles musculosquelettiques (TMS).

Cet appareil externe correspond à un équipement articulé et motorisé qui assiste la victime dans la marche et dans certaines tâches du quotidien[1]. Il peut être située sur la partie supérieure, la partie inférieure ou l’ensemble du corps.

Exemple de robot d’assistance du corps entier de type exosquelette (Wandercraft) 

Il faut distinguer deux types d’exosquelette :

- l’exosquelette d’assistance à l’effort : utilisé dans le cadre de la rééducation physique de personnes handicapées. Aujourd’hui certains centres de rééducation et hôpitaux proposent des séances d’utilisation de l’exosquelette. Cet exosquelette est à la fois un outil de rééducation à la marche et une aide technique à la mobilité.

Comment fonctionne ce dispositif ? Le patient porte un détecteur de mouvement sur le torse. Le robot capte l’intention des gestes et envoie un signal aux jambes motorisées pour faire avancer le patient.

- l’exosquelette amplificateur de force : utilisé pour faciliter le mouvement déjà existant et favoriser le port de charges lourdes. Il a d’abord été utilisé par l’armée pour aider les militaires sur le terrain. Aujourd’hui, il est principalement utilisé dans le domaine du bâtiment et de la santé, simplifiant ainsi les gestes lourds et complexes des ouvriers et employés.

Il existe aujourd’hui une dizaine d’exosquelettes sur le marché, plus ou moins accessibles aux particuliers : Atalante de Wandercraft, BCI de Clinatec, Ekso de Medimex, Indigo, Japet C, Rewalk Robotics, etc. (liste non exhaustive).

Le coût d’un exosquelette varie selon les fournisseurs entre 70 000 et 200 000€ auquel il convient d’ajouter les frais de garantie, maintenances et mises à jour.

Comment prendre en compte ce besoin dans le cadre d’une procédure ?

La victime, assistée de son médecin-conseil et de son avocat, devra au cours de l’expertise médicale faire acter le besoin et la volonté d’acquérir un exosquelette. Quand bien même la technologie est encore en progrès, la question doit être soulevée dès le stade de l’expertise.

Il conviendra ensuite pour la victime de faire des essais en établissement de soin ou centre de rééducation.

Afin d’étudier l’éligibilité du patient à l’exosquelette il sera nécessaire de compléter un dossier médical à faire remplir par le médecin MPR (ou médecin traitant) permettant d’identifier les différents critères d’inclusion et d’exclusion (hauteur et degré des lésions, degré d’autonomie, capacité à se tenir debout avec verticalisateur, mobilité des hanches, etc.)

Il peut s’en suivre ensuite une formation de plusieurs semaines afin d’apprendre à utiliser l’exosquelette en toute sécurité en extérieur et à domicile.

Au niveau de la prise en charge financière de l’exosquelette, l’avocat de la victime aura un rôle important à jouer auprès de l’assureur en sollicitant l’avance des frais d’acquisition ou de location du matériel (sous forme de rente par exemple).

Il conviendra d’être vigilant sur les conséquences d’une telle demande de prise en charge.

En effet, l’exosquelette permettant à la victime de se déplacer et d’accomplir des tâches quotidiennes, il faudra veiller à ce que le besoin en tierce personne soit correctement évalué et préservé.

En l’état de la science et de la technologie, l’exosquelette ne peut en rien exclure l’assistance d’une tierce personne pour l’habillage, la toilette, les transferts, et tout acte complexe nécessitant une présence active ou de réassurance.

Il est certain que le débat indemnitaire pourra être vif s’agissant de matériels onéreux mais il est indispensable de le mener pour améliorer la prise en charge des victimes.

Emma DINPARAST

Avocate au Barreau de PARIS

[1] Revue française du dommage corporel, 2021, Tome 47 – N°1

Indemnisation par l’ONIAM des séquelles d’un accouchement par voie basse

Par un important arrêt du 19 juin 2019 (n°18-20.883), publié au Bulletin, la première chambre civile de la Cour de cassation est venue préciser les conditions d’indemnisation par la solidarité nationale de séquelles survenues à l’occasion de manœuvres obstétricales pratiquées lors d’un accouchement par voie basse.

En l’espèce, en effet, au cours d’un accouchement et en raison d’une dystocie des épaules de l’enfant à naître (situation dans laquelle la tête fœtale ayant franchi la vulve, les épaules ne s’engagent pas), le gynécologue obstétricien avait effectué des manoeuvres d’urgences obstétricales, en particulier la manœuvre dite de Jacquemier, consistant à exercer une traction sur les racines du plexus et sur la tête fœtale, ayant engendré, chez l’enfant un plexus brachial droit. Par un arrêt confirmatif, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait estimé qu’il s’agissait d’un accident médical indemnisable par l’ONIAM et avait alloué à l’enfant, en l’absence de consolidation de ce dernier, une provision à valoir sur son préjudice corporel. Aux termes de son pourvoi, l’ONIAM ne discutait plus devant la Cour de cassation le fait que si l’accouchement par voie basse ne constitue pas en soi un acte médical, les manoeuvres obstétricales pratiquées devaient être nécessairement regardées comme tel. En revanche, l’ONIAM contestait le lien de causalité entre ces manœuvres et le plexus brachial. La question se posait donc de savoir si le plexus brachial, présenté par l’enfant, était imputable aux dites manœuvres aux sens des dispositions de l’article L. 1142-1 II du Code de la santé publique et constituait donc un accident médical ayant vocation à être pris en charge par la solidarité nationale. Dans son arrêt du 19 juin 2019, et alors même que la question ne lui était donc pas posée, la haute juridiction judiciaire énonce, de manière didactique que « si l’accouchement par voie basse constitue un processus naturel, les manœuvres obstétricales pratiquées par un professionnel de santé lors de cet accouchement caractérisent un acte de soins au sens de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique ». Cette affirmation est bien venue car c’est la première fois que la Cour de cassation a l’occasion de souligner que les actes de soins réalisés lors d’un accouchement par voie basse peuvent relever des dispositions de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique. On sait qu’il résulte de ces dispositions que, pour être indemnisé par l’ONIAM, le dommage doit d’une part, être imputable à un acte de soins et d’autre part, présenter un caractère d’anormalité au regard de l’état de santé du patient comme de l’évolution prévisible de cet état.

 

S’agissant de la première condition tenant à l’imputabilité du plexus brachial aux manœuvres obstétricales pratiquées par le gynécologue, la Cour de cassation relève que l’arrêt des juges du fond constate que « les experts notent d’une part, que l’enfant ne présentait pas, au cours de sa vie intra-utérine et au moment précis de sa naissance, d’anomalies qui auraient pu interférer sur la paralysie obstétricale et sur le déroulement de l’accouchement, d’autre part, que la dystocie des épaules est une complication à risque majeur pour l’enfant, telle la lésion du plexus brachial, et que, pour faire face à la dystocie, les manœuvres les plus fréquemment utilisées sont celles qu’à réalisées le praticien ». Elle souligne ensuite que la cour d’appel retient que « ces manœuvres, au cours desquelles une traction est exercée sur les racines du plexus sur la tête fœtale, ont engendré la paralysie du plexus brachial » et qu’elle n’a donc pu « qu’en déduire que les préjudices subis par l’enfant étaient directement imputables à un acte de soins ».

 

S’agissant de la seconde condition, tentant à l’anormalité du dommage, la première chambre civile rappelle sa jurisprudence selon laquelle « lorsque les conséquences de l’acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l’absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible » (Cass. 1ère civ., 15 juin 2016, n°15-16.824)*. Et la Cour de préciser que « pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d’un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès ».

En l’espèce, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir énoncé que le risque issu de la réalisation des manœuvres obstétricales, constitué par la paralysie du plexus brachial, est notablement moins grave que le décès possible de l’enfant. Dès lors, elle approuve les premiers juges de s’être référé à la probabilité de survenance du dommage. Et en l’espèce, la cour d’appel avait, en effet, retenu que « si l’élongation du plexus brachial est une complication fréquente de la dystocie des épaules, les séquelles permanentes de paralysie sont beaucoup plus rares, entre 1% et 2,5% de ces cas, de sorte que la survenance du dommage présentait une faible probabilité ». Il en résulte, pour la Cour de cassation, que l’anormalité du dommage était bien caractérisée et l’ONIAM tenu à indemnisation. La probabilité de survenance du risque qui est prise en compte n’est donc pas celle liée à n’importe quel type de risque ou de complication (tel l’élongation du plexus brachial en cas de dystocie des épaules) mais celle liée à un risque du même type (séquelles permanentes de paralysie) que celui qui s’est réalisé pour la victime à la suite de la réalisation des manœuvres obstétricales. S’agissant de la notion de « probabilité faible », dans un récent arrêt du Conseil d’état, ce dernier avait censuré une cour administrative d’appel ayant retenu qu’un pourcentage de survenance du risque encouru de 3% n’était pas une probabilité faible (CE, 4 février 2019, n°413247). A l’inverse dans l’arrêt précité de la première chambre civile du 15 juin 2016, celle-ci avait qualifié d’élevée la fréquence de survenue du risque qui était de 6 à 8%.


* L’exigence d’une faible probabilité de survenance du risque est une notion jurisprudentielle qui ne figurait pas initialement dans la loi du 4 mars 2002. Elle participe d’une interprétation restrictive de cette dernière.

Daphné TAPINOS

Avocat au Barreau de Paris

Alerte sur les droits des victimes d'attentat

Le gouvernement vient de déposer à la dernière minute un amendement à la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la Justice (n°463 au Sénat, examinée en procédure d’urgence).

Le texte de cet amendement prévoit :

  • La suppression du droit de faire évaluer les préjudices des victimes d’attentat par le juge pénal

  • L’instauration d’une seule juridiction à Paris pour l’indemnisation  des victimes d’attentat

C’est la fin du droit à la proximité et du droit à faire juger les préjudices par la juridiction qui juge le crime terroriste.

Une autre voie était parfaitement possible pour spécialiser les juridictions : la création de pôles régionaux et l’amélioration des règles de procédure pour indemniser les préjudices au pénal.

Au lieu de cela le gouvernement supprime l’accès au juge civil régional et au juge pénal pour toutes les opérations d’indemnisation.

C’est une régression majeure des droits des victimes.

Une réaction urgente de tous les acteurs s’impose.