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Contribution aux débats sur la recevabilité des parties civiles

Contribution aux débats sur la recevabilité des parties civiles

A propos des victimes de l’attentat de Nice

 

En raison de leur ampleur extraordinaire, les attentats de masse de 2015 et de 2016 ont fait de très nombreuses victimes blessées sur le plan physique et psychologique. A cette occasion, la question s’est posée du critère à retenir pour encadrer la recevabilité de la constitution de partie civile des milliers de victimes de ces attentats.

S’agissant de l’attentat commis le 14 juillet 2016 à Nice, la question est d’autant plus sensible que les faits se sont déroulés dans un lieu public particulièrement étendu, avec toutes les difficultés d’appréciation que peut soulever une telle configuration.

L’action civile en réparation du dommage causé par une infraction est régie par l’article 2 du Code de procédure pénale qui dispose qu’elle « appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction. » Elle suppose deux conditions cumulatives : l’existence d’une infraction punissable, d’un fait pénalement incriminé à l’origine du dommage (I) et la justification d’une atteinte directe et personnelle (II).

 

I.         Sur l’existence d’une infraction punissable

L’infraction concernée par la constitution de partie civile est d’abord l’infraction d’atteinte à la vie ou de tentative d’atteinte à la vie à caractère terroriste (A), mais également toutes les infractions connexes à celle-ci telle que l’association de malfaiteurs (B).

A.    Sur l’infraction terroriste

Les articles 221-1 et 222-1 du code pénal incriminent pénalement les atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité physique ou psychique de la personne. Aux termes de l’article 421-1 de ce même code, ces infractions revêtent le caractère d’actes de terrorisme « lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective, ayant pour but de troubler gravement à l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

L’attentat de Nice du 14 juillet 2016 est indiscutablement constitutif de crime d’atteinte volontaire à la vie et à l’intégrité physique ou psychique de la personne, revêtant en outre le caractère d’actes de terrorisme. Cette qualification a d’ailleurs été retenue dans l’arrêt pénal rendu par la Cour d’assises spéciale de Paris du 16 décembre 2022.  

Il sera également rappelé qu’aux termes des articles 121-4 et 121-5 du code pénal, la tentative constitue une infraction au même titre que le crime lui-même. Celle-ci suppose la réunion de deux conditions cumulatives : l’existence d’un commencement d’exécution qui se caractérise par un acte matériel qui tend directement à la commission de l’infraction, et l’absence d’un désistement volontaire. En effet, la commission de l’infraction doit avoir été suspendue en raison de circonstances extérieures et indépendantes de la volonté de l’auteur de l’infraction ou manquée.

Dans l’hypothèse de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, l’auteur de l’attentat avait manifestement l’intention de tuer le plus grand nombre de personnes présentes sur la Promenade des Anglais le soir du 14 juillet 2016. Il a d’ailleurs été établi lors de l’instruction judiciaire qu’il projetait de parcourir l’intégralité de la Promenade, notamment grâce aux nombreux enregistrements vidéo qui le situaient à différents endroits de la Promenade des anglais et sur le quai des Etats Unis dans les jours et les heures précédant l’attentat. Il est donc évident que Mohamed Lahouaiej Bouhlel avait pour intention de poursuivre son parcours au-delà de son arrêt, jusqu’au quai des Etats Unis.

Les faits du 14 juillet 2016 constituent manifestement un commencement d’exécution de l’infraction d’atteinte volontaire à la vie et à l’intégrité physique ou psychique des personnes situées sur la Promenade des anglais après l’arrêt du camion, soit entre la rue du congrès et le port de Nice. Cette tentative d’homicide n’a été suspendue que par une défaillance technique du camion, entièrement étrangère à la volonté de son auteur et causée par l’effet de percussions répétées avec les corps des victimes, les objets et le mobilier urbain.

Par conséquent, les personnes qui se trouvaient en aval du camion sur la Promenade des anglais ont été victimes d’une tentative d’homicide et sont de ce fait recevables à se constituer partie civile dès lors qu’elles démontrent l’existence d’une atteinte directe et personnelle résultant de cette infraction.

A cet égard, le Professeur Amane GORGOZA relève que « relativement à l’assassinat et à la tentative d’assassinat, qualifications retenues dans les instructions relatives aux attentats de Nice et de Marseille, les victimes que l’on identifie en premier lieu sont celles qui se trouvent sur la trajectoire du camion assassin, des tirs ou des coups de couteau des terroristes, mais également celles qui se trouvent à leur portée, du moins dans les cas où les terroristes n’ont pas de cible déterminée. Cette première approche peut sembler rigoureuse mais surtout incomplète. D’une part, elle ne tient pas compte du fait que l’inaccessibilité de certaines personnes présentes sur le lieu d’un attentat peut découler d’une tentative manquée, laquelle demeure punissable (lors de l’attentat de Nice par exemple, le camion n’a arrêté sa course qu’en raison d’une avarie technique) ». (GORGOZA A. « Attentats de Nice, de Marseille et assaut de Saint-Denis : nouvelle approche de la victime pénale des infractions terroristes », Gaz. Pal. 19 avril 2022, n° 13)

L’existence d’une infraction d’atteinte volontaire à la vie, à l’intégrité physique ou psychique de leur personne ou encore d’une tentative d’atteinte volontaire à leur vie ou à leur intégrité est donc bien caractérisée dans le cas de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016.

 

B.     Sur l’association de malfaiteurs terroriste

Compte-tenu du décès de l’auteur des attentats de Nice, il convient de rappeler que l’action civile peut également être dirigée contre les auteurs d’infractions connexes à l’infraction principale.

En effet, aux termes des articles 375-2 et 480-1 du Code de procédure pénale, les personnes condamnées pour une même infraction sont tenues solidairement des restitutions et des dommages et intérêts. Il est de jurisprudence constante que cette solidarité s’étend également aux infractions unies par un lien de connexité (Cass. Crim. 17 novembre 2004, n° 03-82.657 : voir aussi Cass. Crim, 7 janvier 1843 : Bull. crim n° 1 ; Cass. Crim. 14 décembre 1976 : Bull. crim n° 361 ; Cass. Crim, 31 mai 2000, n0 99-82.657 ; Cass. Crim, 18 octobre 2011, n° 11-81.400).

L’article 203 du Code de procédure pénale définit la connexité des infractions de la manière suivante : « Les infractions sont connexes soit lorsqu'elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu'elles ont été commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d'un concert formé à l'avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis les unes pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l'exécution ou pour en assurer l'impunité, soit lorsque des choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit ont été, en tout ou partie, recelées. »

Ainsi, la constitution de partie civile sur une infraction d’association de malfaiteurs est recevable lorsque des assassinats et/ou tentatives d’assassinats ont été commis et que ceux-ci trouvent directement leur source dans l’association de malfaiteurs (Cour Cass. Crim., 27 janvier 1993, n° 92-81.452 ; Cass. Crim., 29 mai 2013, n° 12-85.062). Ce principe fait l’objet d’une jurisprudence constante, y compris en matière d’infractions terroristes (Cour d’assises spécialement composée de Paris, 16 janvier 2018, n° 17/0010 ; Cour d’assises d’appel spécialement composée de Paris, 17 juin 2019, n°17/0079 ; Cour d’assises d’appel spécialement composée de paris, arrêt civil, 14 avril 2021, n°19/0014)

En conséquence, les personnes victimes de l’attentat du 14 juillet 2016 sont recevables à se constituer partie civile à l’égard des personnes condamnées au titre d’une association de malfaiteurs terroristes.

 

II.                Sur l’existence d’une atteinte directe et personnelle

L’article 2 du code de procédure pénale exige ensuite que la personne qui entend se constituer partie civile ait subi une attente directe et personnelle résultant de l’infraction dont elle a été victime.

Les attentats de masse de 2015 et de 2016 ont causé une atteinte directe et personnelle à de très nombreuses personnes. Concernant l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, la Cour d’Assises spécialement composée a retenu dans son arrêt pénal que « le périple meurtrier de Mohamed LAHOUAIEJ-BOUHLEL a finalement causé la mort de 86 personnes dont 33 victimes de nationalité étrangère. Il a tué indifféremment des personnes âgées, des hommes, des femmes, des enfants, plusieurs membres d’une même famille (jusqu’à six membres) dont 15 mineurs parmi lesquels de très jeunes enfants n’ayant pas encore trois ans. Il a également blessé physiquement près de 400 personnes et psychiquement plusieurs milliers de personnes qu’elles se soient trouvées sur la trajectoire du camion, dans le périmètre de l’attentat ou à proximité, qu’elles aient souffert des conséquences de celui-ci par leurs interventions sur la scène de crime pour sécuriser les lieux, porter secours ou rechercher des proches disparus, mais également du fait des liens d’affection et de proximité entretenus avec les personnes décédées ou blessées. »

Il est donc possible de distinguer les victimes présentes sur les lieux, blessées physiquement et psychiquement (A), des victimes atteintes indirectement du fait de leurs liens d’affection et de proximité avec les victimes présentes sur les lieux (B). L’une et l’autre devront être déclarées recevables à se constituer partie civile.

 

A.    Sur la recevabilité des victimes immédiates

L’article 2 du code de procédure pénale prévoit que chaque personne qui subit un préjudice personnel directement causé par une infraction est recevable à se constituer partie civile. Il sera souligné que le texte ne distingue pas selon que le dommage est physique ou psychique, résultant du traumatisme dont souffre la victime de l’infraction. Ce préjudice doit simplement avoir été directement causé par l’infraction poursuivie. L’article 3 de ce même code précise que l’action civile « sera recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découlent des faits objets de la poursuite ».

Il n’est pas contestable ni contesté que les personnes blessées physiquement après avoir été percutées par le camion ont subi une atteinte personnelle et directement causée par l’infraction terroriste. Les constitutions de parties civiles des personnes ayant été blessées physiquement le 14 juillet 2016 sont donc évidemment recevables.

En outre, les personnes blessées physiquement en tentant de fuir doivent également être déclarées recevables dans leur constitution de partie civile. Celles-ci ont en effet subi une atteinte corporelle, et donc personnelle, qui a directement été causée par l’action du terroriste. Par un arrêt du 15 février 2022, la chambre criminelle de la Cour de cassation retient s’agissant de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, que « les circonstances que [la cour d’appel] retient, desquelles il ressort que Madame D. s’est blessée en tentant de fuir le lieu d’une action criminelle ayant pour objet de tuer indistinctement un grand nombre de personnes, à laquelle, du fait de sa proximité, elle a pu légitimement se croire exposée, initiative indissociable de l’action criminelle qui l’a déterminée, suffisent à caractériser la possibilité du préjudice allégué et de la relation directe de celui-ci avec les assassinats et tentatives ». Dans ce cas d’espèce, il s’agissait d’une personne qui se trouvait au niveau de l’Hôtel Le Méridien, soit environ à 250 mètres au-delà de la rue du Congrès où s’est arrêté le camion.

Il résulte de cette jurisprudence que les personnes présentes à proximité des lieux de l’attentat, et qui ont été blessées physiquement en tentant de fuir l’attaque meurtrière du camion devront être déclarées recevables à se constituer partie civile, indépendamment de la distance qui les séparaient du point d’arrêt du camion.

De la même manière, les personnes présentes à proximité du lieu de l’attentat et qui souffrent d’un préjudice psychique devront également être déclarées recevables à se constituer partie civile, la nature des blessures physiques ou psychiques étant indifférente. Ce principe a notamment été rappelé dans un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 4 juin 2019 (Cass. Crim, 4 juin 2019, n° 18-84.720) et le Code pénal incrimine d’ailleurs de manière indifférenciée les atteintes à l’intégrité physique que les atteintes à l’intégrité psychique de la personne (cf. Intitulé du Chapitre II du Titre II du Livre II du Code pénal).

Il est certain que les personnes présentes à proximité d’un attentat de masse ont souffert d’un préjudice personnel. La peur extrême et les visions d’horreur auxquelles elles ont été exposées en raison de l’acte terroriste, sont directement à l’origine de conséquences traumatiques majeures. Il est en effet établi que le simple fait d’avoir assisté à des comportements inhumains peut suffire à déclencher chez cette personne un état pathologique post-traumatique. Le « Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders » (DMS-5) relève que cette pathologie prend sa source dans une « Exposition à la mort effective ou à une menace de mort, à une blessure grave ou à des violences sexuelles d’une ou de plusieurs des façons suivantes : 1° En étant directement exposé à un ou plusieurs évènements traumatiques ; 2° En étant témoin direct à un ou plusieurs évènements traumatiques survenus à d’autres personnes ».

Il sera également rappelé que la blessure psychique est désormais largement admise en droit de la réparation du préjudice corporel. Le Professeur Stéphanie PORCHY-SIMON souligne l’évolution de la notion juridique de victime du dommage corporel à la suite de la vague d’attentats survenue à partir de 2015 et la nécessité d’y intégrer les blessures psychiques des personnes ayant assisté à ces évènements tragiques : « Le témoignage des personnes impliquées dans ces évènements a notamment permis de prendre conscience de la gravité des conséquences du stress post-traumatique et de concevoir, qu’en dehors ou au-delà des blessures purement physiques, celles qui avaient été confrontées à leur violence en étaient réellement victimes, au sens moral, mais surtout juridique du terme, du fait de l’atteinte psychique irréversible causée par ces évènements. » (PORCHY-SIMON S. « Les victimes de dommage corporel : retour sur deux concepts fondamentaux du droit de la réparation », D. 2021.296)

Les personnes blessées psychiquement après avoir été exposées à un attentat de masse souffrent donc d’un préjudice certain, et en relation directe avec l’infraction terroriste.

En effet, l’atteinte directe et personnelle qui justifie la mise en œuvre de l’action civile au sens de l’article 2 du code de procédure civile doit avant tout être celle qui reflète la valeur sociale protégée par le texte d’incrimination. Elle correspond au résultat redouté de l’infraction. Or précisément, en matière de terrorisme, l’auteur a pour objectif premier de porter atteinte à l’intégrité psychique des personnes présentes sur le lieu de l’attentat, par l’intimidation et la terreur. L’infraction d’atteinte à la vie des personnes n’est que le support de l’infraction à caractère terroriste.

A cet égard, le Professeur Yves MAYAUD retient que « le fait que l’action terroriste soit incriminée par référence à une qualification existante ne la prive pas de sa propre nature, liée au but qu’elle poursuit « de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » : c’est précisément ce trouble qui sert d’assise à l’action civile, pour y faire entrer toutes les personnes qui, sans avoir été la cible directe de l’acte meurtrier, n’en sont pas moins atteintes par ce qu’il a fait naître en elles d’‘intimidation’ et de ‘terreur’. Là nous semble être l’explication, et une explication qui, par la juste correspondance avec la raison d’être de l’incrimination du terrorisme, mérite approbation et vaut en soi justification ». (MAYAUD Y. « Une meilleure protection des victimes du terrorisme par une conception plus large de la notion de partie civile », RSC 2022 p. 332)

En réalité, la relation directe entre la blessure psychique et l’infraction terroriste résulte de la croyance légitime d’avoir été exposée à un acte terroriste visant à tuer indistinctement un grand nombre de personnes. Ce critère est précisément celui retenu par la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. Crim, 15 février 2022, n°21-80.265 ; Cass. Crim. 24 janvier 2023, n° 21-85.828 ; Cass. Crim. 24 janvier 2023, n° 21-82.778) et permet d’appréhender toutes les victimes immédiatement affectées par l’infraction terroriste.

Il avait également été implicitement retenu par la Cour d’assises de Paris dans son arrêt du 16 janvier 2018, qui avait déclaré recevables les constitutions de nombreuses parties civiles présentes à proximité de l'École Ozar Hatorah lors des attentats du 19 mars 2012, qui avaient entendu les tirs, vu les corps, fuit le lieu de l’attentat ou s’étaient cachés, et qui avaient conservé des séquelles psychologiques (Cour d’assises de Paris, 16 janvier 2018, n° 17/0010).

En revanche, le critère géographique consistant à délimiter un périmètre, qui a parfois pu être retenu par la jurisprudence, ne permet pas de rendre compte de la réalité des préjudices subis par les personnes présentes sur les lieux de l’attentat et doit donc être écarté.

La Cour de cassation a d’ailleurs très récemment jugé, dans un arrêt du 24 janvier 2023 relatif aux attentats de Barcelone, que le seul critère de la trajectoire ne suffit pas à exclure l’existence d’un lien direct entre l’infraction et le préjudice allégué. En l’espèce, « c’est à tort que, pour estimer que le préjudice allégué n’était pas en relation directe avec les infractions commises, les juges ont relevé que l’intéressée ne s’était pas trouvée sur la trajectoire de la camionnette. Néanmoins, […] si Mme X se trouvait à proximité, elle n’a pas été en situation de prendre la mesure des faits qui étaient en train de se dérouler de sorte qu’elle ne s’est pas crue exposée à une action criminelle ayant pour objet de tuer indistinctement un grand nombre de personnes. En conséquence, la possibilité de l’existence d’un préjudice en relation directe avec les infractions poursuivies n’est pas caractérisée. » (Cass. Crim. 24 janvier 2023, n° 21-85.828 ; voir également Cass. Crim. 24 janvier 2023, n° 21-82.778).

La recevabilité de la constitution de partie civile est donc subordonnée d’une part, à la proximité de la victime avec les lieux de l’attentat, sans pour autant délimiter de périmètre géographique strict, et d’autre part, à la croyance légitime de la victime qui en résulte d’avoir été exposée à un acte terroriste.

S’agissant de l’attentat de Nice, les personnes présentes sur la Promenade des Anglais ont assisté à l’exécution de dizaines de personnes violemment percutées par un camion de dix-neuf tonnes, redouté l’explosion du camion ou l’arrivée d’un commando terroriste dans un contexte de peur et d’angoisse extrême, et se sont retrouvées au milieu de centaines de corps. En raison de la gravité des faits, ces personnes avaient nécessairement conscience d’avoir été exposée à un acte terroriste visant à tuer indistinctement un grand nombre de personnes et ont pu légitimement craindre pour leur vie. La situation de chaque victime sur la trajectoire exacte du camion est indifférente pour établir la réalité de leur préjudice.  

La Cour d’assises spécialement composée souligne d’ailleurs à juste titre dans son arrêt pénal la blessure psychique des milliers de personnes se trouvant à proximité du lieu des attentats en retenant : « Il a également blessé physiquement près de 400 personnes et psychiquement plusieurs milliers de personnes qu’elles se soient trouvées sur la trajectoire du camion, dans le périmètre de l’attentat ou à proximité. »

Il résulte de tous les éléments qui précèdent que les personnes présentes sur la Promenade des anglais, qui se sont légitimement crues exposées à un danger de mort et qui ont subi un traumatisme psychique, ont subi un préjudice personnel en relation directe avec l’infraction terroriste et devront par conséquent être déclarées recevables à se constituer parties civiles.

 

B.     Sur la recevabilité des victimes médiates

Enfin, les proches des victimes immédiates sont également recevables à se constituer parties civiles devant les juridictions répressives quelle que soit l’infraction poursuivie (Cass. Crim., 9 février 1989 : D 1989. 614 ; Cass. Crim., 1er juillet 1994 : Bull. crim. n° 269).

Il est en effet établi que les proches des victimes d’attentat subissent eux-mêmes un préjudice direct et personnel non négligeable qui justifie la recevabilité de leurs constitution de partie civile. S’agissant des attentats du 13 novembre 2015, la Cour d’assises spécialement composée de Paris avait à ce titre souligné dans son arrêt du 25 octobre 2022 qu’un « préjudice peut être retenu pour les proches en cas de survie de la victime directe, afin de prendre en compte l’affliction des proches à la vue de sa déchéance, de sa douleur et de la diminution de ses capacités physiques et psychologiques ; et que les proches des victimes directes ont subi un traumatisme consécutif à la vision ou la découverte de la mort ou des blessures – qu’elles soient physiques ou psychologiques – de leurs parents. »

Le degré de parenté ou la nature des liens entre la victime directe et la victime par ricochet sont d’ailleurs indifférents (Cass. Mixte, 27 février 1970, n° 68-10.276 ; Cass. Civ 2ème, 16 avril 1996, n° 94-13-613 ; Cass. Crim 17 octobre 2000, n° 99-86.157), de même que le décès ou la survie de la victime directe (Cass. Crim., 19 juin 1985, n° 85-91.653 et très récemment, Cass. Civ 2ème, 27 octobre 2022, n° 21-24.424, 21-24.425, 21-24.426).

Les proches des victimes présentes lors de l’attentat de Nice ont subi un préjudice conséquent, résultant directement de l’attentat, qui justifie donc la recevabilité de leur constitution de parties civiles.

 

Frédéric BIBAL Aline Servia Chloé DAVID