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Réflexions & billets

RÉFLEXIONs & BILLETS 

 

Victimes d'incendie collectif, le Tribunal de grande instance de Paris reconnait la spécificité des préjudices

Dans l’affaire de l’incendie de l’hôtel Paris Opéra, la  19ème chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu le 21 janvier 2019 un jugement donnant une définition des préjudices d’angoisse des victimes directes et des préjudices d’attente et d’inquiétude de leurs proches

(TGI Paris 19ème Ch, 21 janvier 2019, n° 14/00108)

Sur le préjudice d'angoisse des victimes directes de l'infraction

« Les parties civiles sollicitent l'indemnisation distincte d'un préjudice d'angoisse de mort qu'elles estiment autonome par rapport au poste de préjudice retenu par la nomenclature Dintilhac et notamment des souffrances endurées et du déficit fonctionnel permanent 

Depuis l'instauration de la nomenclature Dintilhac, l’indemnisation des souffrances endurées intègre toutes les souffrances, tant physiques que morales, ainsi que les troubles qui sont associés, subis par une victime pendant la maladie traumatique, c'est-à-dire du jour de l'accident à celui de la consolidation.

Le poste d'indemnisation « Déficit fonctionnel permanent » tend quant à lui à indemniser les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de vie et les troubles définitifs apportés à ses conditions d'existence.

L'angoisse liée à une situation ou des circonstances exceptionnelles résultant d'un acte soudain et brutal provoquant chez la victime, pendant le cours de l'événement, une très grande détresse et une angoisse dues à la conscience d'être confrontée à la mort caractérise une souffrance psychique spécifique. Toutefois, cette souffrance ressentie entre le début du fait traumatique et l’issue de celui-ci constituée soit par la prise en charge par les services de secours de la victime vivante, soit par son décès, apparaît comme une déclinaison des souffrances morales indemnisables au titre du poste de préjudice temporaire intitulé « souffrances endurées ».

En l'espèce, au regard des témoignages recueillis dans le cadre de l'information judiciaire, réitéré pour certains à l'audience et du film réalisé par les pompiers de Paris de l'intervention, une souffrance morale spécifique liée à l’angoisse ressentie par les victimes présentes au sein du bâtiment embrasé de l'hôtel Paris Opéra, peut-être retenue et indemnisée dans le cadre des souffrances endurées.

Les personnes présentes au sein de l'hôtel ont ainsi été victimes d'un événement violent survenu en pleine nuit ayant indéniablement pu provoquer chez celles-ci une très grande détresse et une angoisse dues à la conscience d'être confrontées à la mort notamment en raison de l'intensité de l'incendie et des fumées dégagées, de l'impossibilité de sortir du bâtiment par les escaliers ou sorties de secours et de la nécessité de rester confinés dans les chambres puis de s’agglutiner aux fenêtres, les flammes avançant, ainsi qu'en raison de la vue de la chute de personnes sautant dans le vide ou jetant leurs enfants par les fenêtres pour échapper aux flammes ou de celles de leurs corps écrasés sur le sol.

Monsieur Olivier B., membre du premier véhicule de pompiers de Paris intervenu sur place a ainsi déclaré : « C'était un véritable cauchemar, une scène de guerre. Une pluie de corps s’est abattue sur la voie publique, sous nos yeux. Les gens paniqués jetaient les enfants par les fenêtres finissant pour certains par sauter eux-mêmes. »

Ce constat est confirmé par le visionnage du film placé sous scellé réalisé par les pompiers de Paris qui montre tout à la fois l’importance du sinistre, la rapidité de sa propagation et le fait que les clients de l'hôtel sont restés prisonniers des étages supérieurs du bâtiment sans possibilité de fuite et n’ont dû leur salut, pour ceux qui n'ont pas sauté dans le vide, qu'à l'intervention rapide des pompiers à l'aide d'échelles de grande dimension.

Cette souffrance est, par ailleurs, spécifique du fait du contexte collectif de l'infraction subie qui a amplifié ce sentiment d'angoisse, notamment du fait du nombre de personnes impliquées, de leurs réactions, ainsi qu'en raison de la présence de familles entières et notamment d'enfants compte tenu de la destination du bâtiment ayant pris feu et de l’heure de survenue de l'incendie.»


Sur le préjudice d'attente des victimes indirectes de l'infraction :

« Les parties civiles sollicitent l’indemnisation distincte d’un préjudice spécifique d'attente et d'inquiétude qu'elles estiment autonome par rapport aux postes de préjudices retenus par la nomenclature Dintilhac et notamment des souffrances endurées et du préjudice moral et d'affection des proches, et qui a été retenu par certaines juridictions en cas de catastrophe collective. Selon elles, un tel préjudice se caractérise dans la présente procédure par les longues heures d'attente pendant lesquelles les proches sont demeurés dans l'incertitude quant à la gravité des blessures ou de l'indication de la structure hospitalière vers laquelle ont été orientés leurs proches parents, par la nécessité de se rendre dans une chapelle ardente de fortune ou dans une morgue ou étaient conservés des corps voués à une reconnaissance impossible ou insoutenable, par la difficulté de s'isoler et de se recueillir compte tenu des contingences administratives mais aussi de l'ampleur de la catastrophe accentuée par la présence des médias et de l'émotion collective qui s’en est suivie, de la diffusion des images ou de la proximité avec les autres familles endeuillées. 

En l’espèce, le préjudice revendiqué par certains requérants se cristallise pendant une période plus ou moins longue entre le moment où l'incendie de l'hôtel Paris Opéra s'est déclenché et le moment où, alors qu'ils n’étaient pas sur place, ils ont eu connaissance de l'événement et sont restés dans l'incertitude de savoir si leurs proches étaient des victimes, s'ils étaient toujours en vie et où il se trouvaient.

Cette période est indéniablement source d'un traumatisme pour les personnes concernées et peut au demeurant être évaluée pour certaines d'entre elles sans expertise médico-légale contenu de l'évidence de la catastrophe survenue. Ce préjudice ne se confond ni avec le préjudice d'affection, ni avec le préjudice d’accompagnement puisqu'il naît et se termine pendant une période antérieure et ne concerne que le vécu d'un proche sans nouvelles d’une personne concernée par l'incendie.

Cependant, depuis l'instauration de la nomenclature Dintilhac qui est appliquée par l'ensemble des juridictions de l'ordre judiciaire, l’indemnisation des souffrances endurées intègre toutes les souffrances, tant physiques que morales, ainsi que les troubles qui y sont associés, subies par une victime pendant la maladie traumatique, c'est-à-dire du jour de l'accident à celui de la consolidation. Ce poste de  préjudice a vocation à englober le préjudice d’attente et d’inquiétude des victimes indirectes de catastrophes collectives qui ressentent une douleur morale intense dans des circonstances dramatiques. Pour certaines, une expertise médico-légale a d'ailleurs été ordonnée afin d'évaluer leurs séquelles définitives. En toute hypothèse, il appartient à la juridiction saisie, y compris en l'absence d'expertise, d'évaluer souverainement le quantum des souffrances endurées en fonction de la réalité de ce que chaque requérant a pu vivre.

Ainsi, au regard des témoignages recueillis dans le cadre de l'information judiciaire, une souffrance morale spécifique liée à l’attente et à l’incertitude  dans laquelle sont demeurés les proches de victimes directes entre l'information générale reçue, généralement par le biais des médias, concernant l'incendie et l’information précise concernant le sort de leur(s) proche(s), peut-être retenue et indemnisée dans le cadre des souffrances endurées et évaluée au regard de la situation personnelle de chaque personne concernée.»