Cabinet Bibal
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Réflexions & billets

RÉFLEXIONs & BILLETS 

 

L’incidence de la décision pénale sur la preuve de la faute inexcusable

Trop souvent, les juridictions de la Sécurité sociale renvoient l'étude de la faute inexcusable de l'employeur dans l'attente de la décision des juridictions pénales.

Pourtant, si la condamnation pénale de l'employeur semble induire l'existence d'une faute inexcusable, sa relaxe n'empêche en rien la juridiction de la Sécurité sociale de retenir l'existence de cette faute. Ainsi, il revient au Tribunal des Affaires de la Sécurité Sociale de rechercher si les éléments du dossier lui permettent de caractériser la faute inexcusable de l'employeur. 

  • Incidence d’une condamnation

Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, l'existence d'une condamnation pénale pour non-respect des règles relatives à la sécurité implique nécessairement que l'employeur a eu conscience du danger, dès lors que les règles violées sont liées aux circonstances de l'accident.

Pour illustration, la Haute cour s’est prononcée le 12 octobre 1988 à propos de l’existence d’une faute inexcusable d’un employeur condamné pénalement pour avoir omis de faire vérifier la grue d’un chantier par une personne habilitée.

La Cour d’appel retenait que la grue avait fait l’objet avant l’accident d’une vérification qui n’avait décelé aucun défaut particulier et qu’il n’était pas possible de dire si l’employeur aurait dû avoir conscience du danger.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt au motif que « tout en constatant que les responsables de la société Blanc et Z... avaient été condamnés pénalement pour avoir omis de faire vérifier la grue par une entreprise habilitée, ce qui impliquait un risque dont l'employeur ne pouvait pas ne pas avoir conscience, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; » (Cass., Soc., 12 octobre 1988, n°86-18758)

Plus récemment, dans un arrêt du 25 avril 2013, la Cour de Cassation retient une automaticité entre la condamnation pénale et l’existence d’une faute inexcusable.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence retenait que l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur ne se présumait pas, même en cas de condamnation pénale de ce dernier et qu’il incombait au salarié d’établir que son employeur l’avait exposé à un danger dont il avait ou aurait dû avoir connaissance.

La Cour de Cassation casse et annule l’arrêt en précisant :

« Qu'en statuant ainsi, alors que M. Y., en sa qualité de chef d'entreprise, avait été condamné pénalement pour avoir causé, en ne respectant pas les règles de sécurité relatives aux travaux en hauteur, des blessures à l'intéressé, ce dont il résultait qu'il devait avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés ; » (Cass., Civ 2., 25 avril 2013, 12-12963).

  • Incidence d’une absence de condamnation

A l’inverse, la déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une faute inexcusable.

En effet, la Cour de cassation a tiré les conséquences de la loi du 10 juillet 2000 relative à la définition des délits non intentionnels, qui a inséré dans le Code de procédure pénale un article 4-1 mettant fin à l'unicité des fautes civile et pénale en décidant que la déclaration par le juge répressif de l'absence de faute non intentionnelle, ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d'imprudence, de négligence ou une faute inexcusable.

(Civ. 1re, 30 janv.2001, no 98-14.368 , D. 2001.2232, obs. P. Jourdain  , JCP 2001. I. 338, obs. G. Viney, RTD civ. 2001. 376, obs. P. Jourdain. - Civ. 2e, 7 mai 2003, no 01-13.790. - Civ. 2e, 16 sept. 2003, no 01-16.715. - Civ. 2e, 16 févr. 2012, no 11-12.143). 

En effet, la Cour de Cassation a posé ce principe à plusieurs reprises notamment le 16 février 2012 en affirmant que :

« La déclaration par le juge répressif de l'absence de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à la reconnaissance d'une faute inexcusable en application de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale. Il suffit que la faute de l'employeur soit en lien de causalité avec le dommage pour que la responsabilité de ce dernier soit engagée alors même que d'autres fautes auraient concouru à la réalisation du dommage. Justifie légalement sa décision une cour d'appel qui retient que l'employeur, tenu non seulement de mettre à disposition de ses salariés les dispositifs de sécurité et protection imposés par la loi ou les règlements, mais de leur en imposer l'usage, a commis une faute inexcusable, eu égard aux circonstances de l'accident, alors même qu'il avait été relaxé du chef de blessures involontaires pour avoir manqué de donner à son salarié une formation à la sécurité adaptée à son poste de travail » (Cass., Civ 2., 16 février 2012, n° 11-12.143) 

Cette décision a été confirmée par un arrêt du 15 mars 2012 précisant que :

« la faute pénale non intentionnelle, au sens des dispositions de l’article 121-3 du Code pénal, est dissociées de la faute inexcusable au sens des dispositions de l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale ; qu’il appartient dès lors à la juridiction de la sécurité sociale de rechercher si les éléments du dossier permettent de retenir la faute inexcusable de l’employeur, laquelle s’apprécie de façon distincte des éléments constitutifs de l’infraction d’homicide involontaire » (Cass., Civ 2., 15 mars 2012, n°10-15.503, D.2012., 1316) 

Par conséquent, même en cas de la relaxe de l’employeur par la juridiction pénale, la juridiction de la sécurité sociale doit évaluer l’existence d’une faute inexcusable sur la base des éléments du dossier.

Par Emma DINPARAST