Cabinet Bibal
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Réflexions & billets

RÉFLEXIONs & BILLETS 

 

De la nécessité du médecin conseil en amont de l'expertise

La nécessité de la présence du médecin-conseil pendant l’expertise médicale est reconnue par la nomenclature Dintilhac.

Mais quid du travail très important fourni par le médecin-conseil en amont de l’expertise ?

La notion de procès équitable garantie par l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme intègre le respect de l’égalité des armes. Elle implique que « chaque partie doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent dans une situation de désavantage par rapport à son adversaire » (CEDH, 18 mars 1997, Foucher c/ France, requête n°22209/93).

Le Docteur Bernard A.H. DREYFUS, Médecin légiste, chargé de cours à la faculté de médecine Paris V, précise l’importance particulière du médecin-conseil avant et après l’opération d’expertise[1].

« Accueil

Le médecin-conseil de blessé doit savoir recevoir et écouter le blessé, lui faire connaitre ses droits, lui préciser la « règlementation » en la matière, lui exposer clairement les droits et les devoirs des victimes ainsi que ceux des autres parties, lui expliquer les étapes successives nécessaires à l’évaluation du dommage corporel.

Le blessé charge de son recours un médecin-conseil auquel il fait toute confiance. Il lui raconte son vécu traumatique, lui explique sa vie antérieurement à l'accident, lui expose sa situation physique, morale et socio-professionnelle suite à l'accident, se confie à ce médecin, comme à son médecin thérapeute.

Le respect de la personne dans son vécu de victime est un élément fondamental de cet entretien préliminaire, témoignant d'une compréhension totale des doléances exprimées. Par ce premier contact humain, le médecin-conseil de blessé va prendre conscience de la spécificité du dossier et en personnaliser la constitution. Ce dialogue avec la victime lui permettra d'exprimer sa compétence médico-légale et son indépendance professionnelle. (…)

Information et conseil

Cette confiance acquise permet de jouer un rôle de modérateur dans certaines situations particulières. Elle permet aussi, par des conseils appropriés, de dépassionner le débat et d'éviter ainsi des demandes excessives ou injustifiées, des comportements dangereux, des contestations inutiles vouées à l'échec et finalement onéreuses pour la victime. (…)

Constitution du dossier

Le rôle particulier du médecin-conseil de blessé est de constituer un dossier structuré et complet à visée médicolégale. Ce dossier doit prouver les séquelles résultant de l'accident, c'est-à-dire toutes les répercussions fonctionnelles ou autres qui découlent du fait dommageable. Il doit aussi apporter la preuve de leur lien de causalité avec l'accident générateur.

(…). Il lui faut en effet réunir tous ces éléments de preuve :

- Preuves des lésions. Il convient de rechercher tous les éléments permettant de retracer le suivi médico-chirurgical depuis le fait dommageable jusqu'à la date de l'entretien. Le médecin-conseil doit s'appliquer à faciliter au blessé toutes les démarches qu'il doit obligatoirement effectuer pour obtenir tous ces documents indispensables à son dossier.

- Preuves des séquelles. L'assistant technique du blessé doit rechercher les différents paramètres médicaux ou autres qui authentifient toutes les séquelles alléguées. Il doit donc procéder à une recherche médico-légale à visée diagnostique. D'abord recueillir auprès du médecin traitant toutes les informations utiles, puis, si nécessaire, conseiller de faire pratiquer les examens complémentaires imposés par cette recherche. Il joue donc là un rôle fondamental et particulier de recherche de diagnostic à visée purement médico-légale et expertale, élément spécifique de la mission de médecin-conseil de blessé.

- Recherche et démonstration de l'imputabilité des séquelles au fait dommageable. (…) »

Le Docteur Jacqueline ROSSANT-LUMBROSO, Présidente du Conseil Départemental de l'Ordre des Médecins des Alpes-Maritimes relève également ce rôle crucial du médecin-conseil avant, pendant et après l’expertise dans un rapport adopté lors de la session du Conseil national de l’Ordre des médecins du 21 octobre 2011.

Elle précise que l’action du médecin-conseil est fondée sur deux principes essentiels :

« 1- la charge de la preuve incombe à la victime et le médecin doit l’aider à constituer son dossier médical. Cette intervention préalable à l’expertise est essentielle.

 2- le principe du contradictoire justifie la présence d’un médecin-conseil de victime auprès de chaque victime.

Il a pour vocation d’assurer le respect d’une défense contradictoire des victimes sur le plan médico-légal, en veillant à une évaluation correcte des différents postes de préjudices, et pour cela a un rôle de conseil et d’accompagnement auprès de son client. (…)

Enfin il doit rendre compte au blessé et, à sa demande, à ses mandats (avocats, etc.) des résultats des opérations expertales en les commentant et les explicitant.»[2].

Il est certain que le rôle du médecin-conseil est crucial en amont de l’expertise. La victime seule ne saurait constituer son dossier et évaluer correctement ses préjudices, ni rechercher et démontrer l’imputabilité des séquelles au fait dommageable.

L’égalité des armes est donc assurée par la présence du médecin-conseil lors de l’expertise mais évidemment par tout le travail de préparation opéré avant celle-ci.

Les frais engagés pour la préparation du dossier d’expertise et donc pour la constitution de preuves étant en lien direct avec l’agression, il est anormal qu’ils restent à la charge de la victime.

La Cour de cassation a eu l’occasion de valider ce raisonnement dans un arrêt du 22 mai 2014, en précisant que la victime peut avoir recours à des mesures, telle qu’une expertise amiable, pour évaluer son préjudice et chiffrer ses demandes (Cass., Civ 2, 22 mai 2014, n°13-18591).

Il est pourtant regrettable de constater aujourd’hui encore que certaines décisions de justice de première et seconde instance ne prennent pas intégralement en charge les frais de médecin-conseil et se limite à la note d'honoraires indiquant la présence du médecin-conseil à l’expertise.

Il convient dès lors d’insister auprès des juges du fond sur la nécessité du travail fourni par les médecins conseils en amont de l’expertise, afin d’obtenir le remboursement des honoraires de préparation du dossier.

 

Emma DINPARAST
Avocate au Barreau de Paris

 

[1] « Le médecin-conseil de blessé » – Bernard A. H. DREYFUS, Médecin-légiste, chargé de cours à la faculté de médecine Paris V – AJ Famille 2004 p.321.

[2] « Les experts médicaux et les médecins qui évaluent le dommage corporel » - Dr Jacqueline Rossant-Lumbroso, Rapport adopté lors de la session du Conseil national de l’Ordre des médecins du 21 octobre 2011.